Aide-moi maintenant, air noir et frais, cristal noir. Les légères feuilles bougent à peine, comme pensées d'enfants endormis. Je traverse la distance transparente, et c'est le temps même qui marche ainsi dans ce jardin, comme il marche plus haut de toit en toit, d'étoile en étoile, c'est la nuit même qui passe.
Je fais ces quelques pas avant de remonter là où je ne sais plus ce qui m'attend, compagne tendre ou détournée, servantes si dociles de nos rêves ou vieux visage suppliant... La lumière du jour en se retirant - comme un voile tombe et reste un instant visible autour des beaux pieds nus - découvre la femme d'ébène et de cristal, la grande femme de soie noire dont les regards brillent encore pour moi de tous ses yeux peut-être éteints depuis longtemps.
La lumière du jour s'est retirée, elle révèle, à mesure que le temps passe et que j'avance dans le jardin, conduit par le temps, autre chose - au-delà de la belle sans relâche poursuivie, de la reine du bal où nul ne fut jamais convié, avec ses fermoirs d'or qui n'agrafent plus nulle robe - autre chose de plus caché, mais de plus proche...
Ombres calmes, buissons tremblants à peine, et les couleurs elles aussi ferment les yeux. L'obscurité lave la terre. C'est comme si l'immense porte peinte du jour avait tourné sur ses gonds invisibles, et je sors dans la nuit, je sors enfin, je passe, et le temps passe aussi la porte sur mes pas. Le noir n'est plus ce mur encrassé par la suie du jour éteint, je le franchis, c'est l'air limpide, taciturne, j'avance enfin parmi les feuilles apaisées, je puis enfin faire ces quelques pas, léger comme l'ombre de l'air, l'aiguille du temps brille et court dans la soie noire, mais je n'ai plus de mètre dans les mains, rien que de la fraîcheur, une fraîcheur obscure dont on recueille le parfum rapide avant le jour.
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Texte : Philippe Jaccottet, A la lumière d'hiver, II
Photo : Cleo-Nikita Photography
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