BLOG EN RECONSTRUCTION

Blizzard


Tu l'entends ? Bien sûr que tu l'entends, le murmure, le murmure assourdissant et permanent. Il a envahi la ville et les esprits, il arpente les rues en hurlant. Le murmure, assourdissant et permanent, comme un bruit parasite à l'intérieur qui t'épuise, qui souffle à l'oreille de chacun "t'es mauvais, t'es bon à rien, tu seras jamais assez bien", qui te répète "t'es comme ça ou tu devrais, ça changerait rien si tu changeais". Le murmure assourdissant et permanent qui espère te mettre à terre en te criant "essaye pas de refaire l'histoire, t'y arriveras jamais, c'est trop tard, c'est baisé, c'est imprimé dans les mémoires". Le murmure assourdissant et permanent qui te fait croire qu'y a pas de rédemption, pas de pardon, pas de rachat, pas de rémission. Et tu l'acceptes. Tu le laisses rentrer. 

Wow qu'est-ce que tu fais, arrêtes ! Qu'est-ce qui te prends de faire des trucs pareils ? Pourquoi tu te fais du mal comme ça ? Qu'est-ce qui va pas, parle-moi, tu sais que tu peux tout me dire... Mais nan mais c'est des conneries tout ça tu le sais ! Regarde-moi dans les yeux, regarde-moi... On s'en branle, c'est pas important. Moi je te trouve magnifique, depuis la première fois que je t'ai vu, d'ailleurs je m'en suis toujours pas remis. Et puis comment je ferais sans toi moi ? Et puis comment l'univers il ferait sans toi ? Ça pourra jamais fonctionner, c'est impossible. Alors faut pas pleurer, faut pas pleurer... Parce que ça va aller, je te le promets, ça va aller. Parce qu'on est de ceux qui guérissent, de ceux qui résistent, de ceux qui croient aux miracles, pas de ceux qui disent que lorsque les tables bougent c'est que quelqu'un les pousse du pied, et un jour tout ça on y pensera même plus, on aura tout oublié, comme si ça avait pas existé.



"Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Pour que tu te sortes les doigts du cul, pour que t'enlèves cette merde que t'as dans les yeux ? T'as tout ! T'as toutes les cartes en main, t'as... t'as tout, t'es beaucoup trop beau enfoiré, espèce de sale "side up" de ta race ! Tu me brûles ! Tu me brûles trop, avec tous les autres aussi qui me brûlent beaucoup trop fort ! Moi ça me fout des cicatrices moi. J'suis là. J'suis prêt à tout. J'suis prêt à aller en enfer, je te porte sur mon dos, je me prends des beignes regarde, je me prends des beignes ! Et toi t'es assis, tu plantes ton derche... Tu refuses de sortir de ta cellule... Mais tu vois pas qu'y a besoin de toi ? Tu vois pas que si tu fais rien... tu sers à rien ? Ça va continuer combien de temps comme ça ? Tu vas rester à côté des rails ? Comme une vache, qui regarde le train ? Jusqu'à ce que t'en puisses plus, ou... qu'on te mette dans une boîte en bois ? Roh arrête de sourire ! Ce sourire, là, qui pue l'échec ! Allez envoie-moi ton sourire papa, tu souhaites la fatigue mais d'un autre côté t'as raison... C'est tellement plus facile de sourire plutôt que d'être heureux !"

Tu te demandes si tu es une bête féroce ou bien un saint... Mais tu es l'un, et l'autre. Et tellement de choses encore. Tu es infiniment nombreux. Celui qui méprise, celui qui blesse, celui qui aime, celui qui cherche... et tous les autres ensemble. Trompe-toi, sois imprudent, tout n'est pas fragile. On attends rien que de toi. Parce que tu es sacré. Parce que tu es en vie. Parce que le plus important n'est pas ce que tu es, mais ce que tu as choisi d'être

Tu nous entends le blizzard, tu nous entends ? Si tu nous entends, va te faire enculer ! Tu pensais que t'allais nous avoir hein, tu croyais qu'on avait rien vu... Surprise connard ! Tu nous entends la honte, tu nous entends ? Si tu nous entends fais gaffe quand tu rentres chez toi toute seule le soir, on pourrait avoir envie de te r'faire la mâchoire, avec des objets en métal, ou de te laver la tête avec du plomb, qu'est-ce que t'en dis ? Tu nous entends la tristesse, tu nous entends ? Si tu nous entends c'est que toi aussi, tu vas bientôt faire ton sac. Prendre la première à gauche, deuxième à droite, puis encore à gauche et aller niquer ta race. Félicitations, bravo ! Tu nous entends la mort, tu nous entends ? Si tu nous entends, sache que tu nous fais pas peur, tu peux tirer tout ce que tu veux, on avance quand même, tu pourras pas nous arrêter. Et on laissera personne derrière, on laissera personne se faire aligner, tout ça c'est fini ! 
Tu nous entends la dignité, tu nous entends ? Si tu nous entends sache qu'on a un genou à terre et qu'on est désolés. On est désolés de tout ce qu'on a pu te faire, mais on va changer, on va devenir des gens bien, tu verras, et un jour tu seras fière de nous ! Tu nous entends l'amour, tu nous entends ? Si tu nous entends, il faut que tu reviennes parce qu'on est prêts maintenant, ça y est. On a déconné c'est vrai mais depuis on a compris, et là on a les paumes ouvertes avec notre coeur dedans, il faut que tu le prennes et que tu l'emmènes. Tu nous entends l'univers, tu nous entends ? Si tu nous entends, attends-nous, on arrive. On voudrait tout comprendre, tout savoir, tout voir, tout vivre, on cherche la porte du nouveau monde pour pouvoir s'y fondre en grand. Tu nous entends, toi qui attends, tu nous entends ? Si tu nous entends souviens-toi que t'es pas tout seul, jamais. On est tellement nombreux à être un peu bancals, un peu bizarres... Et dans nos têtes y a un blizzard. Teubés mystiques, losers au grand coeur, il faut qu'on sonne l'alarme, qu'on se retrouve, qu'on se rejoigne, qu'on s'embrasse, qu'on soit des milliards de mains sur des milliards d'épaules, qu'on se répète encore une fois que l'ennui est un crime, que la vie est un casse du siècle, un putain de piment rouge, nique sa mère le blizzard ! Nique sa mère le blizzard ! Tout ça c'est fini. Tout ça c'est fini !

Nique sa mère le blizzard, quand la seule chose dont tu te sens capable c'est de te mettre en chien de fusil et de plus penser à rien. Nique sa mère le blizzard, si tu te sens glisser y aura des mains pour te rattraper. Nique sa mère le blizzard. Faut creuser, jusqu'au bout, s'arrêter que quand t'as tout enlevé. Nique sa mère le blizzard. Tu seras là, tu respireras l'air et tu réaliseras qu'il y a quelque chose qui a changé. Nique sa mère le blizzard, la nuit sera calme, personne restera sur le carreau. Nique sa mère le blizzard. Des douleurs, des peines, y en aura, et on restera debout

Le fait est que j'étais devenue accro à David (pour ma défense, il avait encouragé cette addiction par son petit côté "homme fatal") et que maintenant que son attention se détournait je souffrais de conséquences aisément imprévisibles.


L'addiction est la marque de fabrique de toute histoire sentimentale fondée sur un amour obsessionnel. Tout commence quand l'objet de votre adoration vous fait don d'une chose enivrante et hallucinogène de quelque chose que vous n'aviez même pas oser admettre désirer. Un speedball émotionnel, peut être d'amour tempétueux et d'excitation perturbatrice. Très vite, on commence à vouloir toujours plus de cette attention soutenue, avec une avidité obsessionnelle de tout toxico. Et quand on nous refuse de la drogue, on tombe aussitôt malade, on cède à la folie, on se sent diminué. Pour ne rien dire du ressentiment qu'on nourrit à l'égard du dealer qui a encouragé cette addiction en premier lieu et qui refuse désormais de vous approvisionner en bonne came. L'étape suivante vous trouve amaigrie, grelottante, pelotonnée dans un coin, riche d'une seule certitude : vous seriez capable de vendre votre âme ou de voler vos voisins, juste pour goûter à cette chose rien qu'une seule fois de plus. Pendant ce temps, vous n'inspirez que de la répulsion à l'objet de votre adoration. Il vous regarde telle une parfaite inconnue. Regardez-vous, vous êtes une loque pathétique, méconnaissable même à vos propres yeux. 

Pourtant, si j'avais pu recommencer ma vie, aucun doute, j'aurais mené exactement la même.

Parce que ma vie - cette vie faite d'une succession de pertes - c'était moi-même. Je n'avais pas d'autre chemin pour devenir moi-même. Même s'il fallait pour ça abandonner toutes sortes de gens et que toutes sortes de gens m'abandonnent, même si je devais effacer ou limiter les beaux sentiments, les caractères sublimes et les rêves, moi, je ne pouvais devenir autre chose que moi-même. 








Je suis un homme ordinaire, avec des pensées ordinaires, et j'ai mené une existence ordinaire. Aucun monument ne sera élevé à ma mémoire, et mon nom sera vite oublié. Mais j'ai aimé un être de tout mon coeur et de toute mon âme. 
Et, pour moi, cela suffit à remplir une vie

Comme la petite barque du vieil homme luttant contre la mer et les éléments, j'ai réussi à résister aux vents, aux vagues et à l'immensité de la vie parce que j'avais bien compris une phrase : Le bateau est en sécurité dans le port. Mais ce n'est pas pour ça que les bateaux ont été construits. 

Ce que je voudrais, c'est comprendre.

On ne comprend jamais rien, ou très peu de choses. Les hommes vivent un peu comme des aveugles, et généralement, ça leur suffit. Je dirais même que c'est ce qu'ils recherchent, éviter les maux de tête et les vertiges, se remplir l'estomac, dormir, venir entre les cuisses de leur femme quand leur sang devient trop chaud, faire la guerre parce qu'on leur dit de la faire, et puis mourir sans trop savoir ce qui les attend après, mais en espérant tout de même que quelque chose les attend. Moi, depuis tout petit, j'aime les questions, et les chemins qui mènent à leurs réponse. Parfois d'ailleurs, je finis par ne connaître que le chemin, mais ce n'est pas si grave ; j'ai déjà avancé

J'ai essayé d'expliquer à mes parents que la vie, c'était un drôle de cadeau.


Au départ, on le surestime, ce cadeau : on croit avoir reçu la vie éternelle. Après, on le sous-estime, on le trouve pourri, trop court, on serait presque prêt à le jeter. Enfin, on se rend compte que ce n'était pas un cadeau, mais juste un prêt. Alors on essaye de le mériter. Moi qui ait cent ans, je sais de quoi je parle. Plus on vieillit, plus faut faire preuve de goût pour apprécier la vie. On doit devenir raffiné, artiste. N'importe quel crétin peut jouir de la vie à dix ou vingt ans, mais à cent, quand on ne peut plus bouger, faut user de son intelligence. 

J'essaye d'enregistrer calmement le maximum de détails possibles, sachant d'ores et déjà que, plus tard, lorsque tout ça sera réduit à un puissant souvenir de mes sens, à de la pure nostalgie, je m'en voudrais de ne pas y avoir goûté plus consciemment sur le moment.


Mais c'est impossible d'y goûter consciemment, au bonheur. Sous ses dehors banals, avec ses parasites et ses imperfections, sans le filtre enjoliveur du souvenir, la réalité te prend toujours de vitesse. Sur le moment, c'est mathématique, tu peux juste vaguement ressentir qu'il se passe quelque chose de bien, mais tu es trop occupé à le vivre dans son temps même pour y goûter vraiment. Parce que tu as remarqué que le bonheur, c'est toujours un souvenir, jamais le moment présent. Je me souviens avoir lu chez je ne sais plus qui : "Le bonheur, c'est quand la lumière est bonne et qu'on a pas forcément conscience que tout va bien." C'est ça, le temps perdu, le temps tout court, l'impossible équation du temps qui passe et qu'on voudrait retenir. Je suis persuadé que ce doit être aussi pour cette raison que l'être humain cherche à se mettre en couple : pour faire durer au maximum les moments de bonheur sans avoir constamment à le rechercher dans son passé, pour essayer de figer un peu les choses. 

Ce fut pour moi une mémorable journée, car elle opéra en moi de grands changements.

Mais il en est de même pour n'importe quelle vie. Imaginez qu'on en fasse disparaître une seule journée choisie avec soin, et voyez comme le déroulement en eût été différent. Arrêtez-vous un instant, lecteur de cette page, et songez à la longue chaîne de fer ou d'or, d'épines ou de fleurs, qui ne vous aurait jamais enserré si le premier maillon ne s'en était trouvé forgé au cours de quelque mémorable journée. 

Marguerite

Quand j'ai vu Marguerite, je me suis dit "quel prénom étrange", et puis c'est pas vraiment la saison à faire l'amour dans les champs. Moi mon coeur est chrysanthème, et mon âme est triste. Quand j'ai vu Marguerite, Marguerite m'a dit "t'approche pas trop de moi", moi j'ai pas écouté, tu vois, et j'suis là comme un con à effeuiller les pétales de Tulipe, de Camélia, de Rose et puis de Lila. Quand j'ai vu Marguerite, je me suis dit "elle sort d'où celle-là", et puis c'est quoi ce prénom à la con sorti du fond d'un autre temps, puis moi j'aime pas bien les fleurs, puis j'aime pas ce qui sent bon, je préfère les pétards aux pétales, et un peu la boisson... 
Quand j'ai vu Marguerite ça m'a fait comme un bras d'honneur, l'insoumission qui dit je n'ai ni dieu ni maître ni qui que ce soit, comme un doigt levé bien haut à tous les dieux, tous les suppôts, c'est le solidaire des travailleurs, puis c'est la liberté du coeur. Quand on va pointer à sa porte, sûr qu'on est tous un peu chômeur. Et moi qui suis là comme un con à effeuiller les pétales de Tulipe, de Camélia, de Rose et puis de Lila. 
Marguerite elle est belle comme un accident de bagnole, comme un poids lourd qui a plus les freins. Marguerite elle est folle, et c'est vrai que moi j'aime bien quand elle fait voler les assiettes, quand elle me fait péter les plombs, qu'elle dit qu'elle aime pas mes chansons. 
Marguerite c'est pas la bonne, mais putain qu'elle est bonne. Presque aussi bonne que Marie, en un peu moins putain aussi. J'en ferais bien ma religion, j'en ferais bien mon horizon, c'est sûr que je peux mourir demain tant qu'elle m'habite entre ses reins.
Elle est comme un bateau de pirates, comme un chien qui a mal à la patte. Marguerite elle a le goût de la mer, elle a la fraîcheur des rivières, elle a l'ivresse de la vodka, la folie de la tequila, elle est un peu Mexicaine, un peu Française aussi. Elle est tout ce qu'on veut qu'elle soit, tous les possibles au bout des doigts. Elle t'emmène de l'autre côté de la Terre juste quand elle ouvre les paupières. Marguerite c'est mes coups de jus, c'est mes coups de foudre, c'est mes coups de blues. C'est pas vraiment un bon coup mais c'est dans le mille à tous les coups. C'est comme un parfum de nocturne qui aurait le goût des levers du jour, parce qu'elle elle dit jamais je t'aime, parce que sans équivoque aucune, la liberté au bout des doigts, entre le marteau et l'enclume, c'est la luciole au fond des nuits, oui sur la joue, sûr c'est la pluie. Marguerite c'est mes nuits noires, c'est mes nuits rouges, c'est mes nuits blanches. C'est comme un train qui s'égare mais qui s'arrête pas dans les gares. C'est la luciole au fond des nuits, c'est comme rouler sans le permis. 

Les montagnes russes, c'est ma vie.



La vie est un jeu violent et hallucinant. La vie c'est se jeter en parachute, c'est prendre des risques, tomber et se relever, c'est de l'alpinisme, c'est vouloir monter au sommet de soi-même, et être insatisfait et angoissé quand on n'y parvient pas.

MYTHOLOGIE INDIENNE

Une vieille légende hindoue assure qu'il y eut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Mais ils abusèrent tant de leur divinité que Brahma, le maître des dieux, décidé de leur ôter le pouvoir divin et de le dissimuler en un lieu où il leur serait impossible de le retrouver. La difficulté fut de trouver la bonne cachette. 
Convoqués à un conseil pour résoudre ce problème, les dieux mineurs suggérèrent : "Enterrons la divinité de l'homme dans la terre." Brahma répondit : "Cela ne suffira pas car l'homme creusera et la trouvera." Les dieux mineurs proposèrent alors : "Dans ce cas, jetons la divinité au plus profond des océans. - Non, dit encore Brahma, car tôt ou tard l'homme explorera les profondeurs des océans et il est certain qu'un jour il l'y découvrira et la remontera à la surface."
Les dieux mineurs conclurent : "Nous ne savons pas où cacher la divinité puisqu'il ne semble pas exister sur terre ou dans la mer d'endroit que l'homme ne puisse atteindre un jour."
Brahma réfléchit et rendit son verdict : "Voici ce que nous ferons de la divinité de l'homme : nous la cacherons au plus profond de lui-même car c'est le seul lieu où il ne pensera jamais à la chercher."
Et depuis, dit la légende, l'homme a fait le tour de la Terre. Il a exploré, escaladé, plongé et creusé sans jamais découvrir ce qui se trouve en lui

Je ne lui ai presque pas parlé de toi.


Il connaît ton existence, bien entendu. Il sait le temps partagé, les amours chaotiques, la séparation. Je lui ai mentionné ton prénom, ta profession, ces choses à quoi on a recours pour définir les gens, pour les situer, mais guère plus. Je n'ai pas évoqué la violence des sentiments, ni celle de la rupture. Il ne m'a pas particulièrement questionnée, je n'ai pas eu à lui mentir. Je me tais pour ne pas l'effrayer. Je ne voudrais pas qu'il me considère comme une femme friable, vulnérable, ni comme une malade pas vraiment guérie et susceptible de rechuter. Je lui dissimule les entailles profondes que tu as laissées, aussi bien celles qui me font souffrir que celles qui racontent nos étreintes passées. Ainsi, il n'a pas à redouter que je me perde de nouveau. Je suis convaincue néanmoins qu'il a compris l'essentiel. S'il ne m'interroge presque pas, c'est parce qu'il dispose des réponses. Il ne mesure pas exactement l'ampleur des dégâts que tu as causés mais il la devine presque assurément lorsque, posant ses doigts sur ma peau, il épouse le creux de mes plaies. 

On dit que l'amour dure sept ans.

Allez, sois honnête et réponds moi. Serais-tu capable sept ans durant de t'offrir à quelqu'un sans réserve, de tout donner, sans retenue, sans appréhension, ni doute, sachant que cette personne que tu aimes plus que tout au monde oubliera presque tout de ce que vous aurez vécu ensemble ? Accepterais-tu que tes attentions, tes gestes d'amour, s'effacent de sa mémoire et que la nature qui a horreur du vide comble cette amnésie par des reproches et des regrets ? Sachant ceci inévitable, trouverais-tu quand même la force de te lever au milieu de la nuit quand l'être aimé a soif ou simplement fait un cauchemar ? Aurais-tu l'envie chaque matin de préparer son petit déjeuner, de veiller à occuper ses journées, à la divertir, à lui dire des histoires quand elle s'ennuie, lui chanter des chansons, à sortir parce qu'il lui faut prendre l'air, même quand le froid se fait glacial ; et puis le soir venu, ignorerais-tu la fatigue, viendrais-tu t'asseoir au pied de son lit pour rassurer ses peurs, lui parler d'un avenir qu'elle vivra forcément loin de toi ? Si ta réponse à chacune de ces questions est oui, tu sais vraiment ce que c'est d'aimer
Cet amour que je viens de te décrire, c'est celui d'un père, ou d'une mère à l'égard de ses enfants. Combien de jours et combien de nuits passées à vous veiller, à guetter le moindre danger qui vous menacerait, à vous regarder, vous aider à grandir, à sécher vos larmes, à vous faire rire ; combien de parcs en hiver et de plages en été, de kilomètres parcourus, de mots répétés, de temps qui vous est consacré. Et pourtant, pourtant... à quel âge remontent vos premiers souvenirs d'enfance ? 
Imagine-toi à quel point il faut aimer pour apprendre à ne vivre que pour vous, sachant que vous oublierez tout de vos premières années, que celles à venir souffriront de ce que nous n'aurons pas bien fait, qu'un jour viendra, inéluctablement, où vous nous quitterez, fiers de votre liberté. 

A la lumière d'hiver

Aide-moi maintenant, air noir et frais, cristal noir. Les légères feuilles bougent à peine, comme pensées d'enfants endormis. Je traverse la distance transparente, et c'est le temps même qui marche ainsi dans ce jardin, comme il marche plus haut de toit en toit, d'étoile en étoile, c'est la nuit même qui passe. 
Je fais ces quelques pas avant de remonter là où je ne sais plus ce qui m'attend, compagne tendre ou détournée, servantes si dociles de nos rêves ou vieux visage suppliant... La lumière du jour en se retirant - comme un voile tombe et reste un instant visible autour des beaux pieds nus - découvre la femme d'ébène et de cristal, la grande femme de soie noire dont les regards brillent encore pour moi de tous ses yeux peut-être éteints depuis longtemps. 
La lumière du jour s'est retirée, elle révèle, à mesure que le temps passe et que j'avance dans le jardin, conduit par le temps, autre chose - au-delà de la belle sans relâche poursuivie, de la reine du bal où nul ne fut jamais convié, avec ses fermoirs d'or qui n'agrafent plus nulle robe - autre chose de plus caché, mais de plus proche...
Ombres calmes, buissons tremblants à peine, et les couleurs elles aussi ferment les yeux. L'obscurité lave la terre. C'est comme si l'immense porte peinte du jour avait tourné sur ses gonds invisibles, et je sors dans la nuit, je sors enfin, je passe, et le temps passe aussi la porte sur mes pas. Le noir n'est plus ce mur encrassé par la suie du jour éteint, je le franchis, c'est l'air limpide, taciturne, j'avance enfin parmi les feuilles apaisées, je puis enfin faire ces quelques pas, léger comme l'ombre de l'air, l'aiguille du temps brille et court dans la soie noire, mais je n'ai plus de mètre dans les mains, rien que de la fraîcheur, une fraîcheur obscure dont on recueille le parfum rapide avant le jour

Je désirais le mouvement et non une existence au cours paisible.


Je voulais l'excitation et le danger, et le risque de me sacrifier pour mon amour. Je sentais en moi une énergie surabondante qui ne trouvait aucun exutoire dans notre vie tranquille. Trop souvent, ce que l'on désire le plus au monde, c'est justement ce que l'on ne peut pas avoir. Le désir parfois peut vous briser le coeur, vous anéantir. Le désir peut faire de votre vie un enfer. C'est dur de vouloir quelque chose qu'on ne peut pas avoir. Mais ceux qui souffrent le plus sont ceux qui ne savent pas ce qu'ils veulent. 

Lorsque le Sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. (Proverbe chinois)

Lorsque le Sage explique que son doigt n'a aucune importance et que c'est la lune qui est intéressante, l'imbécile écoute le Sage et trouve qu'il parle vraiment bien. (Variante moderne de ce proverbe.)

Lorsque le Sage exige de l'imbécile qu'il regarde cette "bon sang de lune", l'imbécile a peur mais ne lève pas la tête. (Variante très moderne de ce proverbe.)

Lorsque le Sage finalement renonce à parler de la lune, et lance la conversation sur son doigt qui après tout semble intéresser l'imbécile, ce dernier se dit que le Sage est un homme qui sait se faire comprendre et parler de tous les sujets, même les plus incongrus. Comme les doigts. (Variante encore plus moderne dudit proverbe.)

Lorsque le Sage est mort, l'imbécile se demande "Mais au fait, de quoi voulait-il bien nous parler le Sage quand il dressait le doigt si haut au-dessus de sa tête ?" (Variante définitive dudit proverbe.)

Et un tisserand dit : "Parle-nous des vêtements."

Et il répondit : "Vos vêtements cachent une grande partie de la beauté de votre corps, mais ne peuvent dissimuler ce qui n'est point beau. Et bien que vos vêtements vous procurent la liberté de l'intimité, ils risqueraient de vous harnacher et de vous enchaîner. Puissiez-vous aller à la rencontre du soleil et du vent, la peau respirant plus de lumière et le corps effleurant moins de vêture. Car le souffle de la vie est dans les regards du soleil, et la main de la vie est dans les caresses du vent. Certains d'entre vous disent : "C'est le vent du nord qui a tissé les vêtements que nous portons". Et moi je leur dis : "Certes, c'est le vent du nord ; mais il effile le tissu ramolli de vos nerfs pour tisser de quoi couvrir votre honte. Et dès lors que son ouvrage est achevé, il se met à rire aux éclats dans la forêt". N'oubliez pas que la pudeur sert d'armure contre l'oeil de l'impur. Et quand l'impur n'est plus, que devient la pudeur sinon un carcan pour le corps et une souillure pour l'esprit ? Et n'oubliez pas non plus que la terre rêve de toucher la plante de vos pieds et que les vents languissent de caresser le velours de votre corps et de jouer avec votre chevelure". 

La Rose et le Réséda


Celui qui croyait au ciel 
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle, Prisonnière des soldats, Lequel montait à l'échelle, Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas, Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles, Des lèvres du coeur des bras, Et tous deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle, Fou qui fait le délicat, Fou qui songe à ses querelles, Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle, La sentinelle tira Par deux fois et l'un deux chancelle, L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat, Lequel plus que l'autre gèle, Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle, Deux sanglots font un seul glas, Et quand vient l'aube cruelle, Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle Qu'aucun des deux ne trompa, Et leur sang rouge ruisselle, Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle A la terre qu'il aima, Pour qu'à la saison nouvelle Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes, De Bretagne ou du Jura, Et framboise ou mirabelle, Le grillon rechantera, 
Dites flûte ou violoncelle, Le double amour qui brûla, L'alouette et l'hirondelle, La rose et le réséda